l’art et moi

La fondation Maeght à Saint-Paul de Vence, la Villa Arson à Nice

La première fois que j’ai vu une exposition d’art c’était en 1971 ; à la Fondation Maeght à Saint-Paul de Vence. J’avais 21 ans.  C’était à l’occasion d’une visite de groupe organisée par notre prof d’expression orale et corporelle, ou quelque chose comme ça. Cette visite fut pour moi une révélation, la découverte d’autre chose, une expérience inattendue. Auparavant je n’avais vu « en vrai » qu’une œuvre d’artiste : c’était quand même « la pêche au thon » de Dali – j’y reviendrai plus loin ; mais je n’avais jamais vu une telle profusion d’œuvres, réalisés par différents artistes, au même endroit… Et quel endroit ! Je fus happé par cette bâtisse à l’architecture moderne : je voyais un écrin blanc posé au milieu de la verte nature, donnant l’impression d’être un endroit imprenable, une île plantée loin de toute civilisation. Il n’y avait pas d’exposition dédiée à un artiste en particulier mais simplement un affichage des œuvres appartenant aux Maeght. Il faut dire qu’à l’époque je vivais dans un quartier populaire, où ses habitants étaient étrangers à toute préoccupation artistique. Forcément je n’avais pas l’habitude de fréquenter de tels endroits – j’étais plutôt habitué à visiter les terrains de foot et les bistrots de mon quartier, et sans doute ce jour-là m’étais-je laissé facilement impressionner. Peut-être. Mais mon attachement à ce lieu a perduré et il reste encore aujourd’hui à mes yeux un endroit magique baigné par la beauté et une atmosphère sereine, un lieu que l’on a du mal à quitter, où l’on a envie d’être heureux ! Par la suite chaque fois que je devais emmener quelqu’un en balade ou lorsque je faisais connaissance avec une fille je l’emmenais « là-haut, » pour la draguer ! Je dis « là-haut » car j’habitais à Nice, et Saint Paul de Vence est perché sur les hauteurs dans l’arrière-pays niçois. Tout le monde tombait sous le charme… de l’endroit. Plus tard lorsque j’ai commencé à voyager et à découvrir qu’il y avait une vie en dehors de mon quartier et de la Côte-d’Azur ; partout où j’allais, dans toutes les villes où je posais mes valises, j’allais visiter les musées du coin. J’ai vu ainsi des œuvres et des endroits inoubliables en Europe ou ailleurs ! En ce temps-là, au siècle dernier, voyager était un réel enrichissement, je ne suis pas certain que ce soit toujours le cas aujourd’hui, où tout est globalisé, tout est internetisé, tout est divulgué sur écran.
A partir du début des années 70 il y avait un autre endroit où j’allais me perdre; c’était à la villa Arson située à Nice nord. Un lieu encore aujourd’hui spectaculaire ! A mes yeux le plus bel édifice de la ville. J’étais fasciné par cette architecture énigmatique – l’empilement de volumes me faisant penser à un temple d’une civilisation sud-américaine disparue – habillée de murs en béton armé bruts de décoffrage ou plaqués de galets du Var. On rentrait en marchant sous un lustre immense qui tenait accroché au-dessus de nos têtes je ne sais comment – un lustre qui de mémoire faisait toute la longueur du hall d’entrée ; puis on se perdait dans les couloirs, les escaliers, on descendait, on montait, on traversait un dédale d’allées, on passait devant les ateliers où les artistes travaillaient et pour finir notre visite on zigzaguait à travers un labyrinthe construit sur une terrasse terminée par des créneaux. De là on pouvait voir la ville de Nice s’étaler à nos pieds et si on se retournait, au-dessus de nos têtes la villa Arson apparaissait majestueuse dans son habit ocre. Tout ça sous le ciel bleu immaculé de la côte d’azur ! Là encore on avait envie de s’ancrer sur ces remparts qui offraient ces points de vue spectaculaires. C’était un endroit généralement désert, avec de multitudes de coins et recoins, de petites terrasses cachées, à l’ombre ou au soleil : bref un endroit idéal pour les face-à-face intimes, avec soi-même ou d’autres, un paradis séculier où on se sentait isolé du reste de la terre, seuls au monde ; un endroit où l’on avait envie que le temps suspende son vol. Je me demandais systématiquement pourquoi il n’y avait pas plus de visiteurs, pourquoi les niçois notamment, qui avaient une telle merveille près de chez eux, ne la fréquentaient pas davantage. PS : Je me souviens que ce qui frappait le plus les visiteurs des années 70, c’était le lustre ; tout le monde tombait en admiration devant cette œuvre monumentale et inattendue !  Si vous y allez aujourd’hui vous ne le verrez plus. Il serait intéressant de savoir ce qu’il est devenu. Peu de gens connaissent l’existence de cette œuvre dont je n’ai trouvé de références que dans un seul document officiel : « …Un lustre monumental et spectaculaire réalisé en verre de Murano a été déposé peu après la livraison… » ça a dû couter une fortune ! Est-il remisé au fond d’un entrepôt, empaqueté dans un endroit sombre où personne ne le voit, oublié par tous ceux qui avaient connaissance de son existence ! Je ne suis pas loin d’imaginer que ce chef d’œuvre artistique ait pu être démonté, et ainsi emmené en pièces détachées dans quelques lieux privés, par des accapareurs plus ou moins hauts placés dans l’administration.
l'homme qui marche de Giacometti ... vers la fondation Maeght

Picasso

J’avais 16 ans lorsque je remarquai dans un kiosque à journaux un magazine dédié à l’œuvre de Picasso. Instinctivement je me suis mis à le feuilleter ; il devait contenir une vingtaine de photos de tableaux qui montraient succinctement l’évolution de l’œuvre de l’artiste. Je fus frappé de voir que l’artiste avait aussi fait du figuratif ; ma surprise fut grande en voyant ses premiers tableaux, car dans mon imaginaire le peintre ne faisait que du moderne, que de l’abstrait.
Jusqu’alors je n’avais jamais vu un tableau figuratif de Picasso, car chaque article qui lui était consacré dans les divers journaux que j’avais eu l’occasion de lire, était illustré par des œuvres avant-gardistes qui classaient le peintre sans ambigüité comme l’inventeur de la peinture moderne.Dans ce magazine, dans lequel figuraient des œuvres représentant les diverses tendances dans lesquelles s’était illustré le maître, un tableau attira mon attention : c’était un autoportrait. Picasso s’y était représenté en T-shirt blanc et tenait une palette à la main. Il avait une tête têtue, un regard entêté, et semblait très attentif. Je trouvai qu’il ressemblait plus à un bagnard qu’à un artiste. Ce jour-là j’eus un coup de cœur et j’achetai le magazine avec mes maigres économies.Je l’ai encore, cinquante ans après.Même si les photos n’étaient pas d’une grande qualité, je m’amusais à distinguer les traces du pinceau, que je suivais attentivement ainsi que les tâches des couleurs, comment elles s’équilibraient, s’accommodaient entre elles.

Guernica, j’ai eu l’occasion de voir cette œuvre un peu plus tard plusieurs fois ; au Prado et plus récemment au musée Reine Sophie à Madrid – je ne sais pas si la mémoire me fait défaut mais j’ai l’impression de l’avoir vue aussi à la Fondation Maeght. Bref, au musée Reine Sophie pendant que j’auscultai l’œuvre, l’envie me vint de le copier et le faire en taille réduite afin de « l’accrocher » chez moi.Et ce ne fut que beaucoup plus tard que je finis par en dessiner et peindre le contenu. Mais un contenu en format « réaliste » plutôt qu’« abstrait. » Au final ça a donné 3 panneaux de contrecollé de 180×120 ; ce qui fait une fois les panneaux joints, un dessin de 180×360. Le tout au stylo bille noir, au crayon gris et avec de la peinture acrylique noire blanche et argentée.Tout ce laïus pour dire que c’est Picasso en particulier qui a fait naître en moi le désir de peindre. J’ai vu des œuvres de Picasso un peu partout en Europe, je suis allé au musée Picasso à Paris, à Antibes (en voisin), au musée Berggruen de Berlin, au musée Reine Sophie à Madrid… je dois en oublier A l’époque un détail m’amusa : il utilisait quelquefois du Ripolin… comme mon père, qui en ouvrier factotum dans le domaine de la construction s’en servait pour peindre des chaises, des persiennes et autres portes !

PS : Au musée Picasso d’Antibes j’y ai vu des œuvres de Nicolas de Staël exceptionnelles. Celle qui me frappa le plus, ce fut sans doute « l’orchestre, » cette grande fresque rouge (2mx3,5m) où l’on devine certains instruments entre lesquels se dressent une multitude de partitions posées sur des pupitres. Nicolas de Staël c’est comme un aimant, ça attire l’œil. C’est à voir ! Je vous conseille aussi de lire sa biographie : une épopée, peut-être son chef d’œuvre majeur !

 

Dali, la pêche au thon

Peu après ma « rencontre avec Picasso » j’ai eu l’occasion de voir un tableau qui me frappa par sa beauté, sa force et sa violence. Par la multitude des détails, les couleurs, les mouvements et attitudes des personnages et… par ses dimensions.C’était spectaculaire, monumental, tout s’accordait admirablement : les pêcheurs en action, les thons qui se débattaient, le sang qui se mêlait aux éclaboussures des vagues de la mer… On s’y serait crus ! Je me trouvais dans un hall de l’hôtel Negresco à Nice, planté devant « la pêche au thon » de Dali en me demandant quelle force divine avait guidé le peintre pour lui permettre de réaliser une telle œuvre. J’étais fasciné. Je ne me souviens plus pourquoi Dali était venu exposer ce tableau à l’hôtel Negresco de Nice. Je crois que c’était juste après qu’il eut terminé l’œuvre – le tableau devait être à peine sec ! C’était un peu avant sa fameuse pub sur le chocolat Lanvin en 68 : « je suis fou du chocolat Lanvin ! »

Un pote à moi avec qui je jouais au foot, un apprenti plombier ou électricien je ne sais plus, qui travaillait dans l’hôtel me parla de ce tableau sous la douche après un match. C’est lui qui me fit entrer (avec l’accord du gérant, enfin je crois) en douce dans l’hôtel afin que je puisse l’admirer.

J’ouvre une parenthèse pour dire deux mots sur Dali : pendant longtemps j’ai beaucoup aimé ses œuvres, mais cela ne dura pas. Et aujourd’hui j’aime lire d’avantage le titre de ses œuvres que de regarder ses œuvres elles-mêmes… qui au fil des ans cessèrent de m’étonner – ce qui ne fut jamais le cas avec Picasso.

Buñuel

Puisque je me réfère Dali, je me dois de parler de Buñuel. Ses films ont fortement marqué ma jeunesse et au fil du temps je ne l’ai jamais renié ou « abandonné » ; même si considérant son œuvre entière de cinéaste, j’aime davantage ses anciennes « pellicules » ; en particulier sa période Mexicaine et ses premières œuvres en France ; que celles qu’il a réalisées après la fin les années 60.
C’est mon côté nostalgique : j’aime le noir et blanc et ses mystères ; voir comment c’était en ce temps-là, comment étaient les gens, quelles étaient les mœurs de l’époque ; et voir cette bourgeoisie mise à mal par les caractères des personnages créés par Buñuel, c’est un vrai régal.
Je ressens aujourd’hui ses derniers films comme un peu ringards, un peu démodés aussi ; alors que ses vieux films ne le sont pas. Bizarre !

Bref, les films de Buñuel m’ont quelque peu inspiré. Et notamment « un chien andalou » qui m’avait impressionné lorsque je l’ai vu pour la première fois dans les années 70. En lisant des documents sur ce film j’ai appris que Buñuel et Dali étaient allés acheter une tête de vache aux abattoirs, l’avaient polie, maquillée et l’ont ensuite utilisée pour tourner la scène de « l’œil ».

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