lettre de Frida Kahlo à Nickolas Muray
A gauche : un portrait fait au pochoir avec des bombes de peinture acrylique. En surimpression, la lettre écrite au marqueur acrylique aussi. Sur contrecollé 60×80.
A droite : portrait fait de collage des diverses pièces du cache du pochoir qui restaient. Sur contrecollé 60×80.
Mi querido, mi nino,
Je t’écris depuis mon lit d’Hôpital américain, hier pour la première fois je n’ai pas eu de fièvre et on m’a autorisé à manger un tout petit peu. Du coup je me sens mieux. Il y a deux semaines j’étais tellement malade qu’on m’a emmenée ici en ambulance car je ne pouvais même pas marcher. J’ignore vois-tu, où et comment j’ai pu attraper ce colibacille dans les reins via les intestins….
En plus de cette maudite maladie, je n’ai vraiment pas eu de chance depuis que je suis ici. D’abord, l’exposition est un sacré bazar. Quand je suis arrivée, les tableaux étaient encore à la douane, parce que ce fils de pute de Breton n’avait pas pris la peine de les en sortir. Il n’a jamais reçu les photos que tu lui as envoyées il y a des lustres, ou du moins c’est ce qu’il prétend ; la galerie à lui. Bref, j’ai dû attendre des jours et des jours comme une idiote, jusqu’à ce que je fasse la connaissance de Marcel Duchamp (un peintre merveilleux), le seul qui ait les pieds sur terre parmi ce tas de fils de pute lunatiques et tarés que sont les surréalistes. Lui, il a tout de suite récupéré mes tableaux et essayé de trouver une galerie. Finalement, une galerie qui s’appelle « Pierre Colle » a accepté cette maudite exposition. Et voilà que maintenant Breton veut exposer, à côté de mes tableaux, quatorze portraits du XIXe siècle (mexicains), ainsi que trente-deux photos d’Alvarez Bravo et plein d’objets populaires qu’il a achetés sur les marchés du Mexique, un bric-à-brac de vieilleries, qu’est-ce que tu dis de ça ? La galerie est censée être prête pour le 15 mars. Sauf qu’il faut restaurer les quatorze huiles du XIXe et cette maudite restauration va prendre tout un mois. J’ai dû prêter à Breton 200 biffetons (dollars) pour la restauration, parce qu’il n’a pas un sou. (J’ai envoyé un télégramme à Diego pour lui décrire la situation et je lui ai annoncé que j’avais prêté cette somme à Breton. Ça l’a mis en rage, mais ce qui est fait est fait et je ne peux pas revenir en arrière.) J’ai encore de quoi rester ici jusqu’à début mars, donc je ne m’inquiète pas trop.
Bon il y a quelques jours, une fois que tout était plus ou moins réglé, comme je te l’ai expliqué, j’ai appris par Breton que l’associé de Pierre Colle, un vieux bâtard et fils de pute, avait vu mes tableaux et considéré qu’il ne pourrait en exposer que deux parce que les autres sont trop « choquants » pour le public !! J’aurais voulu tuer ce gars et le bouffer ensuite, mais je suis tellement malade et fatiguée de toute cette affaire que j’ai décidé de toute envoyer au diable et de me tirer de ce foutu Paris avant de perdre la boule. Tu n’as pas idée du genre de salauds que sont ces gens. Ils me donnent envie de vomir. Je ne peux plus supporter ces maudits « intellectuels » de mes deux. C’est vraiment au-dessus de mes forces. Je préférerais m’asseoir par terre pour vendre des tortillas au marché de Toluca plutôt que de devoir m’associer à ces putains d’« artistes » parisiens. Ils passent des heures à réchauffer leurs précieuses fesses aux tables des « cafés », parlent sans discontinuité de la « culture », de l’« art », de la « révolution » et ainsi de suite, en se prenant pour les dieux du monde, en rêvant de choses plus absurdes les unes que les autres et en infectant l’atmosphère avec des théories et encore des théories qui ne deviennent jamais réalité.
Le lendemain matin, ils n’ont rien à manger à la maison vue que pas un seul d’entre eux ne travaille. Ils vivent comme des parasites, aux crochets d’un tas de vieilles peaux pleines aux as qui admirent le « génie » de ces « artistes ». De la merde, rien que de la merde, voilà ce qu’ils sont. Je ne vous ai jamais vu, ni Diego ni toi, gaspiller votre temps en commérages idiots et en discussions « intellectuelles » ; voilà pourquoi vous êtes des hommes, des vrais, et pas des « artistes » à la noix. Bordel ! Ça valait le coup de venir, rien que pour voir pourquoi l’Europe est en train de pourrir sur pied et pourquoi ces gens — ces bons à rien sont la cause de tous les Hitler et les Mussolini. Je te parie que je vais haïr cet endroit et ses habitants pendant le restant de mes jours. Il y a quelque chose de tellement faux et irréel chez eux que ça me rend dingue.
Tout ce que j’espère, c’est guérir au plus vite et ficher le camp.
Mon billet est encore valable longtemps, mais j’ai quand même réservé une place sur l’Ile-de-France pour le 8 mars. J’espère pouvoir embarquer sur ce bateau. Quoi qu’il arrive, je ne resterai pas au-delà du 15 mars. Au diable l’exposition et ce pays à la noix. Je veux être avec toi. Tout me manque, chacun des mouvements de ton être, ta voix, tes yeux, ta jolie bouche, ton rire si clair et sincère, TOI. Je t’aime mon Nick. Je suis si heureuse de penser que je t’aime — de penser que tu m’attends — et que tu m’aimes.
Mon chéri, embrasse Mam de ma part. Je ne l’oublie surtout pas. Embrasse aussi Aria et Léa. Et pour toi, mon cœur plein de tendresse et de caresses, un baiser tout spécialement dans ton cou, ta Xochitl.
Tina Modotti
poème de Pablo Neruda à Tina Modotti
« Tina Modotti est morte »
Tina Modotti, ma sœur, tu ne dors pas, non, tu ne dors pas : peut-être ton cœur entend-il éclore la rose d’hier, la dernière rose d’hier, la rose nouvelle.
Repose doucement, ma sœur.
La rose nouvelle est à toi, la terre nouvelle est à toi : tu as mis une nouvelle robe de semence profonde et ton doux silence s’emplit de racines.
Tu ne dormiras pas en vain, ma sœur
Pur est ton doux nom, pure est ta fragile vie.
D’abeille, d’ombre, de feu, de neige, de silence, d’écume, d’acier, de contour, de pollen, a été construit ton inflexible, ton doux profil.
Le chacal sur le diamant de ton corps endormi montre encore la plume et l’âme ensanglantée comme si tu pouvais, ma sœur, te lever, en souriant sur la boue
Dans ma patrie je t’emmène pour qu’on ne te touche pas, dans ma patrie de neige afin que ni l’assassin, ni le chacal, ni le traître ne touche à ta pureté : là tu seras tranquille.
Entends-tu un pas, un pas plein de plein pas, quelque chose de grand qui vient de la steppe, du Don, du froid?
Entends-tu un pas résolu d’un soldat dans la neige ?
Ma sœur ce sont tes pas.
Ils passeront un jour devant ta petite tombe avant que les roses d’hier ne soient détruites, ceux d’un jour passeront, demain, où brûle ton silence.
Un monde est en marche vers le lieu où tu al allais, ma sœur.
Les chants de ta bouche avancent chaque jour dans la bouche du peuple glorieux que tu aimais.
Ton cœur était courageux.
Dans les vieilles cuisines de ta patrie, sur les routes poussiéreuses, quelque chose se dit et arrive, quelque chose revient dans la flamme de ton peuple doré, quelque chose s’éveille et chante.
Ce sont les tiens, ma sœur : ceux qui aujourd’hui disent ton nom, ceux qui de toutes parts, de l’eau et de la terre, taisent et disent avec ton nom d’autres noms.
Car le feu ne meurt pas.